Il était une fois mon médecin généraliste...

Lorsque je l'ai contacté la première fois, je lui ai parlé de mes difficultés en vrac. Je lui ai jeté des pelletées de moi, presque sans espoir, comme en état d'urgence.
La peur m'empêchait d'avancer depuis un moment déjà et la seule chose que je pouvais faire, c'était la livrer, comme on désigne son bourreau. Elle est ma plus grande plaie, alors je lui ai montré. Elle était devant tout, m'enveloppait en permanence, m’empêchait de respirer, me saignait à blanc... Encore aujourd'hui, elle lie si fort mes mains que je ne sais pas comment attraper celle que l'on me tend...
Il m'a donné rendez-vous le lendemain matin, tôt.
S'il ne l'avait pas fait si rapidement, je n'y serais sans doute pas allé... Je me serais laissé tomber à nouveau, j'aurais reculé, me serais terré, au fond de ma grotte de peur. J'aurais continué de regarder les formes de mon anxiété se dessiner sur ses parois, comme les ombres d'un feu cruel et froid. Il est si aisé de reprendre un chemin connu même si l'on déteste son paysage !

Mais il m'a donné rendez-vous, tôt...

Avant qu'il y ait du monde dans la salle d'attente. J'ai su après, que c'était intentionnel, afin de m'éviter un stress supplémentaire.
Sait-il comme cela fut déterminant ?

J'ai poussé la porte, suivi l'étroit couloir, pénétré dans la cour... Il y avait des plantes et des arbustes un peu partout... Une délicate odeur de chèvrefeuille, une petite table avec, sur sa surface en métal vieillit et légèrement humide, une bougie qui avait l'air éteinte depuis toujours, deux feuilles de laurier couleur automne, qui détonnait dans ce matin de printemps.
Moi aussi, je me sentais comme un automne au printemps... Pas à ma place, trop voyante, pas assez vivante...
Il y avait aussi un vélo.
J'ai tout de suite imaginé que c'était le vélo du médecin et je me souviens m'être demandé s'il avait un petit gyrophare qu'il actionnait quand il volait au secours de ses patients au travers les rues étroites de notre ville....
Enfin, la salle d'attente.... Ouf ! Elle est visible de l'extérieur et je constate qu'elle est vide... De gens, de reproches, de malaises... Pour l'instant, elle n'est que promesse.
"C'est bien me suis-je dis, si un jour il y a du monde lorsque je viendrais consulter, ils me verront arriver de loin, ils auront le temps de se préparer à la vue de mon corps, à ma laideur, c'est mieux pour eux !"
J'en étais là... Je souhaitais que le monde, à ma vue, ne souffre pas trop.

Jusqu'à la dernière seconde, j'ai voulu m'enfuir, me précipiter à l'extérieur, reprendre le petit couloir. J'avais si peur...
Peur qu'il ne sache pas plus que moi par quel bout commencer, peur d'être un cas désespéré. Peur aussi qu'une éventuelle maladresse ne me réduise à rien, me fasse disparaître... Plutôt, ne fasse disparaître le dernier bout d'estime de moi qui subsistait encore et qui, telle la bonde d'une baignoire m'empêchait de me faire happer complètement par l’immense trou que provoquaient mes souffrances.
S'il te plaît univers, s'il te plaît, fais qu'il ne soit pas trop dur, pas trop froid, pas violent...

Combien de prières sans dieux planent dans les salles d'attente ? Combien de patients repartent avec, les traînant comme autant de chaînes silencieuses ?

Il a ouvert la porte...

Un vrai sourire, Un air concentré et ouvert...
Quelque chose dans sa manière de m'accueillir m'a donné l'impression que j'étais quelqu'un comme tout le monde, respectable, et cette attitude m'a donné le droit de parler.
Alors, j'ai lâché mon désespoir sur son bureau et sur la petite boite posée dessus qui contenait quelques coquillages et qui, comme une collection d'enfant, invite à marcher au bord de l'eau...
Oh, ce n'était pas de ce joli désespoir que l'on peut voir dans certains films... Mon désespoir à moi, il a le nez qui coule, les joues rouges et les yeux bouffis, il ne peut pas être élégant, il a été trop contenu.
Son pauvre bureau... Que d'histoires déversées sur lui... Comme des raz-de-chagrins...

Il m'a écouté et puis il a dit : ce n'est pas de votre faute, vous m'entendez ? Ce n'est pas de votre faute.
J'ai hoché la tête mais j'ai pensé : bien sûr que si, tout est de ma faute, ma souffrance, mon isolement, mon chagrin, mon poids, mes silences et puis ses larmes-là, le regard des uns et la maltraitance des autres, mon existence, tout est de ma faute...
Comme un écho à mes pensées, il a dit : non vraiment, je vous assure, ce n'est pas de votre faute. Il y a des raisons, nous allons en parler. Nous allons améliorer les choses. Ça va aller, on va faire ça ensemble.

Après avoir discuté, il m'a proposé un bilan sanguin. Juste ça.
J'ai paniqué. J'en étais à ce point. Pendant quelques secondes, je ne l'ai plus vraiment entendu. Enfin si, mais dans un bourdonnement vous voyez ? Lui, ne se souvient sans doute pas de la scène mais moi, je la ressens encore. Je sens encore le basculement en moi, ce déplacement de rien au creux du ventre que ses mots ont provoqué...
Se rendre dans un nouvel endroit, rencontrer de nouvelles personnes, s'exposer dans une autre salle d'attente, s'installer dans un nouveau fauteuil trop étroit peut être, recevoir des questions trop violentes, supporter des brassards à tension trop petits...
Je revois aussi ses yeux souriants, son expression calme.
Sait-il, ce médecin, que lorsque j'ai peur à l'annonce d'un nouvel examen, son regard bienveillant est comme un abri en pleine tempête ?
L'idée que l'on puisse me toucher était si dure à ce moment-là... La violence de ma dernière gynécologue m'avait tenue loin des soignants de toutes sortes et je ne pouvais même pas imaginer une issue positive avec un autre professionnel de la santé. La rencontre avec mon médecin généraliste tient quasiment du miracle...
Il a attendu que la peur reprenne sa forme habituelle et il m'a rassuré, me dirigeant vers un laboratoire d'analyse non loin de chez moi, avec des gens adorables, qui ouvrait très tôt, ainsi je croiserai sans doute moins de monde. Il m'a même proposé d'appeler le labo afin de les prévenir de mes difficultés.
À aucun moment, il ne m'a donné l'impression d'être bizarre, cassée, tordue, peureuse...

Bien sur, j'ai protesté : non non n'appelez pas, cela n'en vaut pas la peine, vous devez être très occupé !

Plus je pèse lourd, de kilos et de souffrance, plus je veux être légère pour les autres...
Ne pas déranger, ne pas déranger, ne pas déranger. 

Il a souri : Si vous changez d'avis, n'hésitez pas, ce n'est pas un problème pour moi. Vous n'êtes plus toute seule avec tout ça. 

Et depuis, il m'ouvre des portes... Celles d'autres soignants qui comme lui, ne jugent pas et sont bienveillants.
C'est comme un club de gentils dont je vous parlerai...
Oh, je sais bien, le mot "gentil "est souvent moqué de nos jours, réduit à presque rien, comme un sentiment ringard dont on aurait honte mais je l'aime bien, un peu désuet et délicat, on a plus que jamais besoin de ce mot alors ne l'enterrez pas trop vite, d'accord ?
Si j'étais douée en couture, je ferais aux membres de ce club, des costumes avec des masques assortis. Mais je ne suis douée qu'en imagination, alors dans mon monde, je leur ai créé un endroit où ils se retrouvent pour se reposer et parler de leurs aventures de Super-Soignants ! Ils ont peut-être même une Soignant'Mobil, mais si c'était le cas, je ne pourrais pas vous en parler, secret imaginaire oblige, n'insistez pas...

J'ai eu de la chance que cette personne-là, m'ouvre sa porte. Peut-être un jour, lira-t-il ces mots, alors il saura que la belle manière dont il exerce son métier répare un peu les blessures que d'autres soignants avant lui ont causé. Je ne peux sans doute pas évaluer, combien une telle implication, l'accapare au quotidien mais je lui souhaite d'être merveilleusement entouré, d'avoir des temps suffisants de repos et de calme pour réfléchir, rêver et lire sans être interrompu. J'espère aussi que quelqu'un lui a fait un petit gyrophare pour son vélo et qu'il a encore le temps de ramasser des coquillages...
J'espère aussi que son engagement inspire d'autres médecins.

Et vous, les gens cachés dans la grotte de peur, je vous comprends, vous n'êtes pas bizarre, vous avez peur et vous ne voulez pas souffrir plus encore, c'est tout... Mais écoutez-moi, écoutez-vous, il y a de l'espoir. Il y a dehors, des Super-Soignants qui s’occupent vraiment des gens, qui veulent vraiment que vous alliez mieux et qui ne vous rajouteront aucune souffrance. Des gens pour qui le respect est une valeur essentielle de leur métier... Vous pouvez demander des adresses sur les réseaux sociaux et forums consacrés aux personnes en surpoids, en souffrance.
Quand vous serez prêt, ils vous écouteront.

Sibel.

William Blake, David sauvé des eaux, 1805, domaine public




Commentaires

  1. Bonjour et bravo pour ce texte !
    Il y a tellement de vérités que tellement de gens doivent ressentir !
    Moi je les ressens à fond et ma meilleure amie aussi !

    C'est tellement bon de se sentir un peu aidé, un peu soutenu, même si bien sur on n'y croit pas... Pourquoi il m'aide lui... Pourquoi il est gentil lui... tellement plus simple de rester avec notre mal que l'on connait si bien...

    Avec ma meilleure amie contrairement à vos médecins gentils nous avons inventés le "Bastards Hospital" un peu dans le genre Grey's Anatomy mais avec tous les soignants tellement pas humains... Bon le problème c'est la taille du batiment !! Il faudrait un milliers, un million? de salle d'examen malheureusement !

    Bon courage...

    J'éspère pouvoir en lire plus très vite !

    VOUS N'ETES PAS TOUTE SEULE ! VOUS N'ETES PAS NULLE ! IL N'Y A PAS QUE VOUS !

    Claire-Marie V

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    1. Merci infiniment ! Mon précédent commentaire a disparu, je vous disais que je trouvais l'idée de du Bastard Hospital géniale mais vous devriez peut être envisager l'achat d'un île pour un tel projet :D
      Vos encouragements me vont droit au cœur ( qui est un peu tout mou :D )
      Merci et prenez bien soin de vous !

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  2. Si tu savais comme je suis contente que vous vous soyiez trouvés tous les deux ! Contente qu'il te répare petit à petit et de te voir devenir une toi plus forte et plus épanouie, même s'il reste du chemin et qu'il est long et difficile. Il est un peu magicien ton médecin :)

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    1. Merci Madi ! Tu es un amour !
      Il est magique, pas magique comme il sait sortir un lapin du chapeau mais magique comme ces paysages que l'on oubliera jamais ..
      Merci d'être toujours là pour moi !

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