Le poids du passage en caisse
Devant, des bruits de caisse enregistreuse dans un supermarché.
Derrière un enfant joue dans le chariot que pousse sa mère.
Partout, la lumière artificielle , du bruit et du monde.
Je me sens vraiment grosse quand je patiente dans une file d'attente.
Je ne sais pas pourquoi, on dirait que le fait d'être statique me grandit aussi, me rend plus visible.
J'ai la désagréable sensation que mes vêtements rétrécissent, de peu certes, mais suffisamment pour être inconfortable.
Bip ..... Bip....
Bonjour Madame !
Voix toute douce et chaleureuse.
Je réponds à la caissière en souriant. Elle a l'air vraiment gentille. Comme dirait ma mère, elle le porte sur elle.
Elle ne me fera sûrement pas de remarque sur mon poids...
Soulagement, petit poids qui s'envole... J'espère qu'il ne restera pas coincé dans ce supermarché pour toujours.
Vole, vole petit poids et ne tombe sur personne !
Elle jette un coup d’œil rapide au bambin qui fait de plus en plus de bruit derrière, puis, d'un ton amusé, elle me dit : c'est long pour eux, les pauvres ! Enfant, je pleurais toujours aux caisses tellement je m'ennuyais !
L'enfant, qui ne perd pas une miette de notre échange s'écrit : MOI JE PLEURE JAMAIS À LA CAISSE, PARCE QUE MAMAN ELLE DIT QUE SI JE FAIS PAS DE CRISES J'AURAIS UN BONBON ET MÊME QUE MON FRÈRE IL EN AURA PAS PARCE QUE C'EST QUE POUR MOI LE BONBON PARCE QUE JE FAIS PAS DE CRISES. Voilà.
La joie et le ton impérieux du petit étaient comme une sucrerie du monde, ce qui la composait n'était pas très sain mais le bonheur que cela lui procurait était délicieux et alors que la femme qui tenait la caisse éclatait de rire avec moi, cette bulle sucrée que l'enfant venait de souffler vers nous s'éclata contre la voix sèche de sa mère :
Et bien, pour avoir le bonbon, il ne faut pas parler aux inconnus aussi et si tu continues de te faire remarquer, tu n'en auras pas du tout.
D'ailleurs si tu manges trop de bonbons, tu auras des grosses fesses comme la dame devant qui ferait mieux d'aller faire du sport plutôt que rire !
Joues colorées de honte...
Je n'avais pas besoin de me retourner vers elle pour connaître l'expression de son visage. Je ne l'avais que trop vu sur d'autres auparavant.
Je connaissais par cœur le mépris que j'inspirais et les yeux fuyants qui l'habitaient.
D'habitude, j'évite, connaissant désormais ce pan de la société, de commettre une erreur dans l'espace public qui attirerait trop l'attention sur moi.
Mais souvent l'erreur, c'est d'être moi. C'est juste mon corps... Je ne peux pas m’empêcher d’être moi et lui faire prendre la forme que chacun jugerait acceptable.
Ce ton venant de derrière, creusait mes reins comme un énorme doigt pointé sur moi et me mettait intérieurement à genoux.
Pression du poids retombé sur ma poitrine, comme si, maintenu par un élastique invisible et excessivement tendu, il n'attendait que de s'abattre sur moi, réintégrant une place qu'il ne quittait désormais presque plus.
Bien sur, je n'étais pas dupe. Je savais qu'elle puisait son mépris pour moi dans la honte qu'elle tirait de son propre jugement envers elle, jugement qu'elle croyait être le nôtre...
Sans doute, considérait-elle un peu indigne d'user de chantage afin d'obtenir un peu de calme à la caisse.
Ce n'était pas mon cas. Je ne connaissais rien de sa vie et quand je l'avais aperçu, elle m'avait semblé si fatigué que j'avais ressenti de la peine pour elle.
Nos rires avaient-ils étaient ses doigts pointés vers elle ?
MAMAN T'AS PROMIS LE BONBON ET J'AURAIS PAS DES GROSSES FESSES COMME LA DAME HEIN ?
Moi, je ne peux plus rien dire... Je suis écrasée vous comprenez ?
Comment parler quand vous exécrez le poids même de votre langue ?
Comment vous défendre quand votre humiliation est un argument éducatif dans la bouche d'un parent ?
Disparais, disparais, disparais ! ALLEZ DISPARAIS !
Mais je ne disparais pas. Je me sens si lourde, lestée par ces années de remarques blessantes. Je m'étonne presque que l'on ne remarque pas les longues traces de ma confiance en moi agonisante, que je laisse derrière moi dans ces moments-là.
La caissière ne sourit plus... Ne me regarde plus... Elle fait passer les articles.
Ses doigts tremblent très légèrement.
Bip ... Bip ... Bip
Vous avez la carte du magasin Madame ?
Non.
Vous la désirez ?
Non merci, je ne crois pas que je reviendrais...
Le premier supermarché Piggly Wiggly ouvert en 1916 à Memphis, Tennessee
Derrière un enfant joue dans le chariot que pousse sa mère.
Partout, la lumière artificielle , du bruit et du monde.
Je me sens vraiment grosse quand je patiente dans une file d'attente.
Je ne sais pas pourquoi, on dirait que le fait d'être statique me grandit aussi, me rend plus visible.
J'ai la désagréable sensation que mes vêtements rétrécissent, de peu certes, mais suffisamment pour être inconfortable.
Bip ..... Bip....
Bonjour Madame !
Voix toute douce et chaleureuse.
Je réponds à la caissière en souriant. Elle a l'air vraiment gentille. Comme dirait ma mère, elle le porte sur elle.
Elle ne me fera sûrement pas de remarque sur mon poids...
Soulagement, petit poids qui s'envole... J'espère qu'il ne restera pas coincé dans ce supermarché pour toujours.
Vole, vole petit poids et ne tombe sur personne !
Elle jette un coup d’œil rapide au bambin qui fait de plus en plus de bruit derrière, puis, d'un ton amusé, elle me dit : c'est long pour eux, les pauvres ! Enfant, je pleurais toujours aux caisses tellement je m'ennuyais !
L'enfant, qui ne perd pas une miette de notre échange s'écrit : MOI JE PLEURE JAMAIS À LA CAISSE, PARCE QUE MAMAN ELLE DIT QUE SI JE FAIS PAS DE CRISES J'AURAIS UN BONBON ET MÊME QUE MON FRÈRE IL EN AURA PAS PARCE QUE C'EST QUE POUR MOI LE BONBON PARCE QUE JE FAIS PAS DE CRISES. Voilà.
La joie et le ton impérieux du petit étaient comme une sucrerie du monde, ce qui la composait n'était pas très sain mais le bonheur que cela lui procurait était délicieux et alors que la femme qui tenait la caisse éclatait de rire avec moi, cette bulle sucrée que l'enfant venait de souffler vers nous s'éclata contre la voix sèche de sa mère :
Et bien, pour avoir le bonbon, il ne faut pas parler aux inconnus aussi et si tu continues de te faire remarquer, tu n'en auras pas du tout.
D'ailleurs si tu manges trop de bonbons, tu auras des grosses fesses comme la dame devant qui ferait mieux d'aller faire du sport plutôt que rire !
Joues colorées de honte...
Je n'avais pas besoin de me retourner vers elle pour connaître l'expression de son visage. Je ne l'avais que trop vu sur d'autres auparavant.
Je connaissais par cœur le mépris que j'inspirais et les yeux fuyants qui l'habitaient.
D'habitude, j'évite, connaissant désormais ce pan de la société, de commettre une erreur dans l'espace public qui attirerait trop l'attention sur moi.
Mais souvent l'erreur, c'est d'être moi. C'est juste mon corps... Je ne peux pas m’empêcher d’être moi et lui faire prendre la forme que chacun jugerait acceptable.
Ce ton venant de derrière, creusait mes reins comme un énorme doigt pointé sur moi et me mettait intérieurement à genoux.
Pression du poids retombé sur ma poitrine, comme si, maintenu par un élastique invisible et excessivement tendu, il n'attendait que de s'abattre sur moi, réintégrant une place qu'il ne quittait désormais presque plus.
Bien sur, je n'étais pas dupe. Je savais qu'elle puisait son mépris pour moi dans la honte qu'elle tirait de son propre jugement envers elle, jugement qu'elle croyait être le nôtre...
Sans doute, considérait-elle un peu indigne d'user de chantage afin d'obtenir un peu de calme à la caisse.
Ce n'était pas mon cas. Je ne connaissais rien de sa vie et quand je l'avais aperçu, elle m'avait semblé si fatigué que j'avais ressenti de la peine pour elle.
Nos rires avaient-ils étaient ses doigts pointés vers elle ?
MAMAN T'AS PROMIS LE BONBON ET J'AURAIS PAS DES GROSSES FESSES COMME LA DAME HEIN ?
Moi, je ne peux plus rien dire... Je suis écrasée vous comprenez ?
Comment parler quand vous exécrez le poids même de votre langue ?
Comment vous défendre quand votre humiliation est un argument éducatif dans la bouche d'un parent ?
Disparais, disparais, disparais ! ALLEZ DISPARAIS !
Mais je ne disparais pas. Je me sens si lourde, lestée par ces années de remarques blessantes. Je m'étonne presque que l'on ne remarque pas les longues traces de ma confiance en moi agonisante, que je laisse derrière moi dans ces moments-là.
La caissière ne sourit plus... Ne me regarde plus... Elle fait passer les articles.
Ses doigts tremblent très légèrement.
Bip ... Bip ... Bip
Vous avez la carte du magasin Madame ?
Non.
Vous la désirez ?
Non merci, je ne crois pas que je reviendrais...
Le premier supermarché Piggly Wiggly ouvert en 1916 à Memphis, Tennessee
J'ai été témoin de cette scène il y a peu, ma fille était dans le chariot juste derrière la méprisante et son horrible mini elle hurlant et j'étais derrière le chariot.
RépondreSupprimerEt en vous lisant, je me demande si j'ai bien fait, mais je suis intervenu (en demandant à ma fille de ne surtout pas écouter et en lui mettant mon casque avec musique sur les oreilles). En vous lisant, je me demande en fait, si en essayant de prendre la défense de la jeune dame, je n'ai pas encore plus rajouté à ce poids... J'espère très sincèrement que non...
Je ne saurais vous dire. J'aurais apprécié, je pense mais je sais que d'autres ne souhaitent surtout pas attirer encore plus l'attention. C'est difficile de savoir... Mais une chose est sure, c'est qu'elle a entendu que la situation n'était pas choquante et injuste que pour elle. Merci: )
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