Pour plus de renseignements, demandez à votre pharmacien.
Je dois sortir de la maison. Je vais être retard...
Je suis prête là, c'est bon.
Mais j'ai cette sensation étrange, inconnue, dans la poitrine et puis ce nœud dans la gorge... Pourtant, l'air passe normalement.
J'ai peut-être bu trop de café...
Allez, je dois sortir de la maison.
Dès les premiers pas, je me suis sentie en danger... Un danger non identifié, qui m'entourait mais, dont la source venait de mon corps.
Je vais chercher M. à l'école.
Depuis que je suis tombée devant je n'y suis plus retournée ... J'ai trop peur de me faire mal, d'ailleurs je boite encore, ça ne se remet pas vraiment. Pourtant, à l'hôpital, ils m'ont dit que je n'avais rien...
J'ai toujours aimé marcher... Qu'est ce qui ne va pas chez moi ?
Cela fait des jours que je ne pense plus qu'à ça... Aller chercher M. à l'école, puis l'emmener au parc. On s'amusera tous les deux et tout ira bien.
Je sens que si je n'arrive pas à ressortir vite, la peur de me faire mal mais, surtout la peur de retourner à l’hôpital s'installera.
Pour rien au monde, je n'aimerais revoir ce soignant à l’hôpital.
Plus les minutes passent, plus mon stress augmente.
Est-ce que je respire lentement là ? Je ne crois pas ...
Je marche vite, c'est peut-être pour ça.
Je prends mon pouls, il est rapide.
La lumière du ciel est anormalement vive.
Je vais faire un malaise ? Oh non... Je ne peux pas faire un malaise dans la rue.
C'est bizarre, ces picotements au bout de mes doigts et en même temps, je ne sens pas du tout certaine parties de mon corps.
Je marche encore, je suis presque à la moitié du chemin... Je vais revoir les autres parents devant l'école... Mon Dieu, comme je déteste ce moment étouffant de ragots et de jugements que les maîtresses appellent "l'heure des parents".
Évidemment, tous les parents ne sont pas comme ça mais, là, je suis vraiment mal tombée !
Depuis cette fois où j'ai demandé à une mère de ne pas me raconter la vie privée des autres, je suis exclue et la cible de rumeurs à mon tour...
Mon champ de vision se rétrécit, je respire de plus en plus vite ... Je ressens un sentiment d'urgence, terrible, omniprésent.
Et puis, ce poids sur ma poitrine, qui m'écrase... J'étouffe.
Je vais mourir ?
J'aperçois la croix verte clignotante de la pharmacie de mon quartier. Ils pourront surement m'aider, me dire quoi faire.
Quand je franchis la porte de la pharmacie, je suis persuadée que je vais m'évanouir d'ici quelques secondes.
Une femme, souriante, est derrière le comptoir.
Pardonnez-moi de débarquer comme ça, je ne me sens pas bien, je ne sais pas quoi faire, je vais m'évanouir, je respire mal.
Elle m'indique de la main, une chaise d'enfant en plastique jaune, dans un coin...
- Asseyez-vous vite ! Que vous arrive-t-il ?
Je lui explique ce que je ressens... La gorge serrée, la sensation d'urgence, la tête qui tourne, le cœur qui bat si vite ...
On me tend un sac en papier : respirez là-dedans.
Ok, je respire dans le sac.
Au fond du sac, il y a un petit bout de papier duveteux qui virevolte au gré de ma respiration.
Les gens se pressent autour de moi et parlent par-dessus ma tête. Mes yeux , au dessus du sac se concentrent sur les chaussures de la pharmacienne.
Elles sont vernies avec des boucles sur le côté en forme de petits chiens.
Je me suis souvent demandé qui achetait ce type de chaussures...
- Vous faites sans doute une crise d'angoisse, ne vous inquiétez pas, vous ne craignez rien. Ce n'est rien.
Une crise d'angoisse ?
Le souvenir de mon père nous réveillant pour nous dire adieu et combien il était un mauvais père, jaillit dans ma mémoire... Je revois ma mère, tenter de le retenir par le bras afin qu'il ne nous fasse pas peur... Des années plus tard, elle nous avait expliqué qu'il faisait des crises d'angoisses et tandis qu'une partie de mon visage baigne dans la chaleur de mon propre souffle et que mes yeux fixent les petits chiens accrochés aux chaussures, une peur terrible monte en moi : je suis comme mon père ?
Au milieu de ce tumulte intérieur, la voix de la pharmacienne me parvient :
Vous êtes au régime non ? Vous avez mangé quelque chose ce matin ? C'est bien de vouloir perdre du poids mais il ne faut pas faire n'importe quoi
J'écarte le sac de ma bouche...
Non, je ne suis pas au régime.
Ah ! Vous devriez y penser, c'est sans doute ça qui vous angoisse. Il faut se faire aider et faire du sport !
On est toutes pareilles, on veut retrouver le corps de nos quinze ans ! Et puis, c'est maintenant qu'il faut les perdre, parce qu'après c'est fichu !
Je me lève.... Merci, je me sens mieux, ça va aller. Je dois récupérer mon fils à l'école.
Mais je vous en prie, en tout cas, pensez à ce que je vous ai dit, surtout si vous avez des enfants, vous savez, les gamins nous imitent, alors pensez à l'exemple que vous leur donnez et puis surtout pensez à eux, vous ne voulez pas qu'ils soient orphelins !Bon courage !
Elle me regardait, son sourire doux suspendu au visage, ne se rendant pas compte que ces propos étaient inappropriés. Elle pensait bien faire, bien dire. Il n'y avait rien de mal attentionné dans ses propos. Elle croyait m'aider.
Elle pensait être bienveillante.
La gorge serrée, j'ai murmuré un nouveau merci, souhaité à tout le monde une bonne journée et je suis partie.
J'ai eu des attaques de panique pendant des années, presque chaque jour, parfois plusieurs fois par jour. Cela m'arrive encore de temps en temps.
J'ai développé des stratégies d'évitements pour en faire le moins possible. Du moins, pas publiquement.
C'est épuisant et extrêmement angoissant.
Cela peut arriver à tout le monde et pour tout un tas de raisons.
Mais parce que je suis une personne grosse alors tout ce qui m'arrive est perçu à travers le prisme de l'obésité.
Tout.
Mes humeurs, mes angoisses, mon humour, mon manque d'humour, mes sensibilités et mes détresses... Mon rhume, mon mal de tête, mon dos douloureux... Mon appétit, mon manque d’appétit, une déprime, un moment de confiance en moi.
Tout est avalé par la grande machine à préjugés.
Je sais bien que les mentalités évoluent lentement, mais s'il vous plaît, mesdames et messieurs les professionnels de la santé, si vous pouviez vous tenir un peu au courant, prendre un petit cours d'empathie, lire les dernières études sur le sujet... Si au moins vous, vous pouviez retenir que tous les maux des personnes grosses ne sont pas dus à leurs poids.
Cela aiderait beaucoup et aider c'est votre travail. N'est-ce pas ?
Merci.
Sibel
Pharmacie rustique, gravé par Hubner,d'après Locher , 1774
Je suis prête là, c'est bon.
Mais j'ai cette sensation étrange, inconnue, dans la poitrine et puis ce nœud dans la gorge... Pourtant, l'air passe normalement.
J'ai peut-être bu trop de café...
Allez, je dois sortir de la maison.
Dès les premiers pas, je me suis sentie en danger... Un danger non identifié, qui m'entourait mais, dont la source venait de mon corps.
Je vais chercher M. à l'école.
Depuis que je suis tombée devant je n'y suis plus retournée ... J'ai trop peur de me faire mal, d'ailleurs je boite encore, ça ne se remet pas vraiment. Pourtant, à l'hôpital, ils m'ont dit que je n'avais rien...
J'ai toujours aimé marcher... Qu'est ce qui ne va pas chez moi ?
Cela fait des jours que je ne pense plus qu'à ça... Aller chercher M. à l'école, puis l'emmener au parc. On s'amusera tous les deux et tout ira bien.
Je sens que si je n'arrive pas à ressortir vite, la peur de me faire mal mais, surtout la peur de retourner à l’hôpital s'installera.
Pour rien au monde, je n'aimerais revoir ce soignant à l’hôpital.
Plus les minutes passent, plus mon stress augmente.
Est-ce que je respire lentement là ? Je ne crois pas ...
Je marche vite, c'est peut-être pour ça.
Je prends mon pouls, il est rapide.
La lumière du ciel est anormalement vive.
Je vais faire un malaise ? Oh non... Je ne peux pas faire un malaise dans la rue.
C'est bizarre, ces picotements au bout de mes doigts et en même temps, je ne sens pas du tout certaine parties de mon corps.
Je marche encore, je suis presque à la moitié du chemin... Je vais revoir les autres parents devant l'école... Mon Dieu, comme je déteste ce moment étouffant de ragots et de jugements que les maîtresses appellent "l'heure des parents".
Évidemment, tous les parents ne sont pas comme ça mais, là, je suis vraiment mal tombée !
Depuis cette fois où j'ai demandé à une mère de ne pas me raconter la vie privée des autres, je suis exclue et la cible de rumeurs à mon tour...
Mon champ de vision se rétrécit, je respire de plus en plus vite ... Je ressens un sentiment d'urgence, terrible, omniprésent.
Et puis, ce poids sur ma poitrine, qui m'écrase... J'étouffe.
Je vais mourir ?
J'aperçois la croix verte clignotante de la pharmacie de mon quartier. Ils pourront surement m'aider, me dire quoi faire.
Quand je franchis la porte de la pharmacie, je suis persuadée que je vais m'évanouir d'ici quelques secondes.
Une femme, souriante, est derrière le comptoir.
Pardonnez-moi de débarquer comme ça, je ne me sens pas bien, je ne sais pas quoi faire, je vais m'évanouir, je respire mal.
Elle m'indique de la main, une chaise d'enfant en plastique jaune, dans un coin...
- Asseyez-vous vite ! Que vous arrive-t-il ?
Je lui explique ce que je ressens... La gorge serrée, la sensation d'urgence, la tête qui tourne, le cœur qui bat si vite ...
On me tend un sac en papier : respirez là-dedans.
Ok, je respire dans le sac.
Au fond du sac, il y a un petit bout de papier duveteux qui virevolte au gré de ma respiration.
Les gens se pressent autour de moi et parlent par-dessus ma tête. Mes yeux , au dessus du sac se concentrent sur les chaussures de la pharmacienne.
Elles sont vernies avec des boucles sur le côté en forme de petits chiens.
Je me suis souvent demandé qui achetait ce type de chaussures...
- Vous faites sans doute une crise d'angoisse, ne vous inquiétez pas, vous ne craignez rien. Ce n'est rien.
Une crise d'angoisse ?
Le souvenir de mon père nous réveillant pour nous dire adieu et combien il était un mauvais père, jaillit dans ma mémoire... Je revois ma mère, tenter de le retenir par le bras afin qu'il ne nous fasse pas peur... Des années plus tard, elle nous avait expliqué qu'il faisait des crises d'angoisses et tandis qu'une partie de mon visage baigne dans la chaleur de mon propre souffle et que mes yeux fixent les petits chiens accrochés aux chaussures, une peur terrible monte en moi : je suis comme mon père ?
Au milieu de ce tumulte intérieur, la voix de la pharmacienne me parvient :
Vous êtes au régime non ? Vous avez mangé quelque chose ce matin ? C'est bien de vouloir perdre du poids mais il ne faut pas faire n'importe quoi
J'écarte le sac de ma bouche...
Non, je ne suis pas au régime.
Ah ! Vous devriez y penser, c'est sans doute ça qui vous angoisse. Il faut se faire aider et faire du sport !
On est toutes pareilles, on veut retrouver le corps de nos quinze ans ! Et puis, c'est maintenant qu'il faut les perdre, parce qu'après c'est fichu !
Je me lève.... Merci, je me sens mieux, ça va aller. Je dois récupérer mon fils à l'école.
Mais je vous en prie, en tout cas, pensez à ce que je vous ai dit, surtout si vous avez des enfants, vous savez, les gamins nous imitent, alors pensez à l'exemple que vous leur donnez et puis surtout pensez à eux, vous ne voulez pas qu'ils soient orphelins !Bon courage !
Elle me regardait, son sourire doux suspendu au visage, ne se rendant pas compte que ces propos étaient inappropriés. Elle pensait bien faire, bien dire. Il n'y avait rien de mal attentionné dans ses propos. Elle croyait m'aider.
Elle pensait être bienveillante.
La gorge serrée, j'ai murmuré un nouveau merci, souhaité à tout le monde une bonne journée et je suis partie.
J'ai eu des attaques de panique pendant des années, presque chaque jour, parfois plusieurs fois par jour. Cela m'arrive encore de temps en temps.
J'ai développé des stratégies d'évitements pour en faire le moins possible. Du moins, pas publiquement.
C'est épuisant et extrêmement angoissant.
Cela peut arriver à tout le monde et pour tout un tas de raisons.
Mais parce que je suis une personne grosse alors tout ce qui m'arrive est perçu à travers le prisme de l'obésité.
Tout.
Mes humeurs, mes angoisses, mon humour, mon manque d'humour, mes sensibilités et mes détresses... Mon rhume, mon mal de tête, mon dos douloureux... Mon appétit, mon manque d’appétit, une déprime, un moment de confiance en moi.
Tout est avalé par la grande machine à préjugés.
Je sais bien que les mentalités évoluent lentement, mais s'il vous plaît, mesdames et messieurs les professionnels de la santé, si vous pouviez vous tenir un peu au courant, prendre un petit cours d'empathie, lire les dernières études sur le sujet... Si au moins vous, vous pouviez retenir que tous les maux des personnes grosses ne sont pas dus à leurs poids.
Cela aiderait beaucoup et aider c'est votre travail. N'est-ce pas ?
Merci.
Sibel
Pharmacie rustique, gravé par Hubner,d'après Locher , 1774
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