Il se joue là, un tout autre film.

Un ami me disait, il y a peu, son plaisir de se rendre, parfois seul, au cinéma.

Cela m'a rappelé combien j'aimais ça aussi.
Cela m'a rappelé aussi la dernière fois où j'y suis allée.

Les séances des journées grises et creuses étaient mes préférées... J'avais l'impression toute douce d'un rendez-vous secret avec moi-même.

Ce jour-là, il y avait un vent fantastique... Vous savez ce genre de vent qui vous soulève les cheveux et qui dévoile à tous, le temps d'un courant d'air, votre tête de réveil ?
Je me souviens que mon après-midi s'était libérée de manière inattendue et j'étais partie à la rencontre des trésors de ma librairie préférée, Ombres Blanches, puis quand je suis passée devant le cinéma, je me suis engouffrée dedans, comme poussée par le vent !
Je me suis installée, un peu mal à l'aise, dans un fauteuil légèrement trop étroit pour moi après avoir dérangé quelques personnes... Je ne m'attendais pas à ce que la salle soit pleine et je me suis souvenue que nous étions en période de vacances scolaire.
Une joyeuse bande d'ados qui occupait le rang derrière le mien se faisait déjà reprendre à cause du bruit alors que le film n'avait pas commencé.
Ils m'ont rappelé mes propres séances de ciné avec mes amis quand j'avais quinze ans et cela me fit sourire.
C'est si difficile d'avoir conscience du bruit que l'on fait quand on est en groupe...
Je dis en souriant, à la dame un peu râleuse : ils se calmeront sûrement quand le film commencera.
Elle me répondit en secouant ses beaux cheveux blancs encore coiffé par le vent, qu'elle l'espérait bien mais qu'elle ne comptait pas trop dessus.

Une odeur de velours rouge et de pop-corn chaud planait dans la salle et quand celle-ci s'assombrit, je me détendis enfin .... Dans le noir, nous sommes tous semblables...  Unis dans cette attente d’être surpris et émus.
Le monde s’arrêtait et j'avais la sensation de faire l'école buissonnière mais sans le remord accroché au cœur que l'on porte parfois dans l'enfance et qui nous gâche un peu le plaisir.

Poc.
Poc. Poc.
Poc. Poc. Poc.

J'ai tout de suite su.
Quelqu'un me jetait du pop-corn.
Régulièrement, de petits grains de maïs soufflés s'accrochaient à mes cheveux longs.
Je me suis retournée en protestant mais évidemment, personne n'assuma... Cela se répéta plusieurs fois.
Puis une voix, moqueuse a lancé : madame faut maigrir, c'est pas sympa pour nous, on ne voit plus l'écran, faut penser aux autres.
Bien évidemment, je ne les gênais pas mais c'est si drôle d'humilier quelqu'un.

J'aurais aimé partir. Croyez-moi... Je voulais vraiment partir, mais voilà, ça voulait dire déranger tout le monde.
Je n'ai pas réussi à me choisir.
Je n'ai pas réussi à trouver mon inconfort légitime.
Parce que je m'en voulais d'être grosse et parce que je me méprisais d'être grosse, j'acceptais que l'on puisse m'humilier.

J'aurais dû protester, me lever, partir et râler contre les gens qui auraient soupiré d’être dérangé à mon passage.
J'aurais dû et tout le monde me l'a répété : tu aurais dû !

Mais je ne pouvais pas ... Ce qui subsiste toujours dans ces moments-là pour moi, c'est la peur d’aggraver la situation. C'est ça que je choisis presque toujours d'écouter.
Pourquoi cette peur est si grande en moi ? J'ai plusieurs pistes mais une chose est sûre, c'est que si je pouvais me défendre, croyez-bien que je le ferais.

Je n'ai d'ailleurs aucun mal à le faire quand il s'agit de quelqu'un d'autre. C'est juste moi que je ne me défends pas. Je suis comme tétanisée.

Le pire dans tout ça, c'est que je garde de ces expériences une très mauvaise image de moi-même... Et souvent, quand je raconte ce que j'ai vécu, on me culpabilise à grand coup de : mais il faut te défendre aussi sinon ce genre de gens continueront de s'en prendre aux autres et il ne faudra pas te plaindre ! Et surtout, s'ils s'en prennent à quelqu'un d'autre, tu seras responsable...

Je ne me rappelle pas du reste du film.
Ils m'ont importuné régulièrement, jusqu'à la fin de la séance, sans que personne autour de moi ne proteste.
Je me rappelle m'être demandé, en regardant la dame râleuse du début, pourquoi le bruit de mon humiliation ne la dérangeait pas.
Quand je suis sortie de la salle, ils étaient là, à rire, peut être de quelqu'un d'autre. Je suis passée devant eux sans rien dire et ils m'ont ignoré.
Pour eux c'était finit.
Pour moi, c'est comme s'ils avaient rajouté une brique, faite de mal-être et de peur sur mes épaules.
Chaque humiliation est une brique et je n'en peux plus d'entendre que je dois les ignorer parce qu'il y aura toujours des gens stupides...
J'ai l'impression que je suis passée de l'injonction à maigrir à celle d’être une personne grosse indifférente aux remarques blessantes.
J'aimerais y arriver mais pour l'instant, ce n'est pas le cas. Je travaille sur ma confiance en moi mais je reviens de loin alors c'est un gros chantier.

En arrivant devant le métro, j'ai rencontré la dame aux cheveux blancs qui m'a dit en haussant les épaules : je vous l'avais bien dit qu'ils feraient du chahut. 

Je suis rentrée chez moi en suppliant l'univers d’empêcher les grossophobes de me parler sur le chemin du retour et je ne suis plus retournée au cinéma.

Théâtre des Variétés puis cinéma des Variétés, actuellement cinéma UGC.
Archives municipales de Toulouse, Domaine public.





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