Lettre au grossophobe d'hiver

Bien cher grossophobe,

Chaque année, en cette période, nous nous croisons plus que de coutume... Dans les magasins, dans les repas de famille... Autant de situations qui peuvent apparaître comme banales mais qui en réalité vous inspirent des remarques désagréables tant ma vue vous est insupportable.
En général, vous avez du mal à réfréner votre haine et moi, je m'empêche de vivre beaucoup de situations pour vous éviter.

Alors cette fois-ci, je prends les devants afin de nous épargner, si possible, quelques moments délicats.
Ces derniers mois, le sujet de la grossophobie ayant été mieux couvert que les années précédentes, j'ai bon espoir que votre cerveau ne fut pas complètement imperméable aux arguments plutôt justes de certaines personnes concernées et que peut être, j'éviterais votre déversement d'ignorance qui tel le jus d'une dinde de noël se répand dans ma sérénité.

Tous les ans, c'est la même histoire. Je m'enthousiasme pour le menu de noël, prends en compte les spécificités et les goûts alimentaires de chacun. J'ajoute à ma charge mentale quotidienne, celle des festivités de fin d'année, puis une fois que tout est ficelé, je vais faire les courses.
Vous le savez, car, quand vous me croisez au rayon chocolat, vous me dévisagez en levant les sourcils et en entrouvrant la bouche. Parfois même, vous m'interpellez pour me donner votre avis. Une personne grosse au rayon sucrerie, l'aubaine est trop belle !

Voici donc mes suggestions pour cette année : votre avis sur mon corps ne m’intéresse pas. Il ne m'apportera rien. Vous n'allez pas me faire maigrir par le pouvoir de votre volonté. Que vous trouviez mon corps beau ou pas ne me concerne pas. Vous n'êtes probablement pas à mon goût vous-même. Évidemment, cette possibilité ne vous effleure même pas, tant vous pensez que tous les gros aimeraient avoir votre corps, mais vous vous trompez. Ce que vous trouvez esthétique ou pas n'est pas mon affaire.
J'ai désormais des modèles de personnes grosses, fabuleuses et magnifiques auxquelles m'identifier et vous n'êtes plus représentatif de la beauté pour moi.
Je sais, vous croyez être le seul, l'unique, l'audacieux capable d’être impoli au point de me partager son avis inutile et peu développé, mais non. Vous êtes nombreux, à me dire exactement la même chose, de la même manière, sur le même ton.
Même la conclusion sur notre santé et sur le fait que vous dites ça pour moi et non pour vous, qu'après tout vous vous en fichez, vous, vous êtes très bien comme vous êtes, est très fréquente.

Idem pour votre humour, au moment du repas.
On connaît toutes vos "blagues" sur notre poids.
Oui, toutes.
En même temps, ce n'est pas dur, vu que vous renouveler, n'a, a priori, pas été au programme depuis des décennies.
De la comparaison à la dinde de noël et aux lourds sous-entendu sur le fait que vu notre tour de poitrine, nous n'avons pas attendu l'hiver pour manger notre première raclette.
Je sais... C'est la fin d'année, vous êtes fatigué et c'est facile de faire des blagues sur les personnes grosses.
Si nous répondons, vous pouvez nous taxer de susceptibles et si vraiment, nous contestons un peu trop vous pouvez brandir la carte " on ne peut plus rien dire désormais, d'ailleurs ce bon vieux Coluche..."
À ce sujet d'ailleurs, oui les temps changent, par exemple, au moyen-âge les humains intentaient des procès aux animaux. L'église a même excommunié des hannetons car ils avaient provoqué une famine, on leur a donc demandé de quitter toutes les terres du diocèse de Lausanne.
Les petits hannetons se racontent encore cette histoire, riant aux larmes et en se tapant la carapace avec leurs petites pattes !

Vous serez sûrement tenté de faire une blague sur la robe soi-disant pas adaptée à mon corps et sur sa couleur qui ne m'amincit pas.
Ne le faites pas. Retenez-vous et je ne sais pas moi, dîtes quelque chose d'intelligent plutôt.
Si vous avez besoin de piste, demandez autour de vous, ou ressortez cette bonne vielle histoire de hannetons, qui, à défaut d’être une anecdote brillante, n'humiliera personne. Je vous la donne.

J'ai subi tant de grossophobie que je sais tout ce que vous pourriez me dire.

La véritable question, c'est pourquoi vous voulez me dire tout ça ?
Ce n'est pas dangereux de vous poser cette question.
Essayez.
Juste comme ça, à vous-même...
Pour vous-même.

Pourquoi ai-je envie d'aller parler à cette personne de son corps, de son poids ? Pourquoi ai-je besoin d'attirer l'attention sur elle ? 
Que se passe-t-il en moi à ce moment-là ?

Je ne peux pas faire beaucoup plus pour vous.
Vous proposer de vous remettre en question est la chose la plus bienveillante que je puisse faire, véritablement.
Je sais qu'il est difficile à notre époque, d'imaginer que ce que vous n'aimez pas et ce que vous ne comprenez pas mérite aussi votre respect.
Je sens aussi, comme c'est frustrant, alors que l'on a été celui qui se permettait toutes les réflexions, toutes les blagues les plus immondes, d'accepter de prendre un virage et de dire à son entourage que l'on a évolué, que l'on a changé d'avis.
C'est dur, parce que l'on s'imagine que ce que l'on parait est notre identité.

Mais, quoique vous pensiez, quoique vous estimiez vrai, juste, drôle... Cette année, si vous humiliez quelqu'un, il y a fort à parier que vous serez celui qui ressentirez de la honte.
Les temps changent et vous aurez beau vous accrocher très fort à eux, vos préjugés s'effritent...
Alors cette année, quand nos regards se croiseront au rayon des confiseries, épargnez-moi, cela vous sauvera, vous.
C'est tout ce que je nous souhaite.
Bonne fin d'année.

Sibel.
Vermeer, La Lettre d'amour, vers 1669-1670











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