Jour de marché

Une fin de matinée d'hiver, lumineuse et froide, je me suis rendue au marché.

J'adore les marchés de ma ville et plus particulièrement celui à côté de chez moi.
J'aime l'énergie de ses lieux, les rires et les grognements échangés par les commerçants par-dessus les têtes des clients.

Parfois, on aperçoit une vielle dame qui attend patiemment son tour et presque toujours, quelqu'un de plus jeune, plus vif, la laisse passer devant lui et lui attrape un panier pour lui épargner l'effort de courber le dos et d'étendre le bras.
J'aime regarder ce petit bout d'humanité, qui se tient là, concentré et agité tout à la fois, cherchant les meilleurs fruits, dénichant les plus bas prix.

Ce jour-là, je me suis arrêtée à l'étal de mon commerçant préféré pour acheter des fruits. Nous discutons joyeusement quelques minutes quand un homme se glisse près de moi. Il y a tant de monde que je me retrouve assez rapidement très près de lui. Je tente de laisser une distance entre nous mais l'homme se retrouve malgré tout à mon contact.
Il sent le tabac froid et ce drôle de petit sapin que l'on accroche parfois dans les voitures. Son manteau est bien trop grand pour lui et la moitié basse de son visage disparaît dans le col de celui-ci.

Un mouvement de foule et il est derrière moi. Sa main sur mes fesses.
Je m'écarte en le regardant... Il me fixe sans paraître troublé : est-ce que je me fais des idées ? C'est possible... Je suis méfiante depuis l'agression que j'ai subi.
Mais quelques minutes plus tard, plus de doute possible... Ce type se frotte à moi et ça me révulse. 
Je le repousse en m'écartant et il me jette un regard noir, froid.

En moi, des mots, en bouche : pas encore... Pas encore... Pas encore

Je ne peux pas parler et je ne sens presque plus mon corps. 

Mon regard croise celui du marchand et je dois avoir une expression du visage étrange car il me tend un quartier de clémentine en me disant : ça ne va pas ? T'as pas déjeuné ce matin ?

J'attrape le fruit machinalement et le glisse entre mes lèvres...

C'est ce moment là que choisi l'individu glauque qui vient de me faire peur, pour lancer d'une voix forte et agressive : franchement vu ton poids, tu ne devrais pas accepter la bouffe comme ça sinon, plus personne ne voudra te toucher le cul dans la rue. 

Les émotions se bousculent tant. J'ai peur. Je me sens humiliée.

Je m'en vais.

La foule n'est plus qu'un tableau fait de petites tâches de couleurs.

Sous ma dent, l'amertume du pépin.

Le Boulevard des Italiens. Peinture de Gustave Caillebotte



Commentaires

  1. Oh mon dieu... Quel gros c...rd !

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    1. N'est-ce pas ? C'est terrible de devoir croiser ce genre d'individus ! Merci de m'avoir lu :)

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    1. Je suis heureuse de l'avoir extirpé de moi, ce souvenir. Un de moins : )

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  3. Parce que toucher notre cul dans la rue est une bonté que les hommes nous font, bien sûr ! Quel dégoutant et stupide personnage...
    Je viens de rencontrer votre blog, et vous avez gagné une fan inconditionnelle ! J'aime votre plume acérée et votre talent pour pointer ce qui blesse. J'ai pleuré avec vous sur certaines humiliations que j'ai vécues et reconnues dans vos écrits, intemporelles. Le monde est un endroit bien cruel pour ceux qu'il décide de choisir comme bouc émissaire... Nous sommes, en quelque sorte, des proies faciles-- ou reconnaissables ?
    Merci en tout cas de poser ces mots ici, pour ceux qui ont le courage de les recevoir. Courage ! <3

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    1. Oh... Merci... Merci. Votre commentaire me fait tant de bien. C'est bien plus qu'un commentaire... C'est une goutte de doux dans l'abrupte de notre société... Merci. Je suis désolée de vous savoir aussi touché par la discrimination et l'humiliation. Vous n'êtes pas seule. Je suis là et très heureuse de vous avoir croisé.

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    2. Moi aussi, même si c'est toujours triste de constater qu'il y a autant de c**s partout... Merci en tout cas pour vos écrits, votre candeur, votre puissance. Il faut parler de ce que nous vivons, et je suis heureuse que vous ayez la force de le faire. <3
      Prenez soin de vous !

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