Jacqueline

Chère Sibelle,

Je m'appelle Jacqueline et je vous écris grâce à mon arrière-petit-fils Pierre qui a suffisamment de patience pour m'initier à internet.
J'aime les jolis textes qui parlent des arbres et notre errance numérique nous mena jusqu'à votre "souvenir d'enfance comme ressource"
Émue de ressentir à vos côtés l'arrachement des racines de ces pauvres malheureux arbres, je me suis empressée de parcourir vos autres textes.
Quelle surprise de découvrir alors que nous partagions la même condition et les mêmes souffrances.
En effet, je suis et j'ai toujours été grasse et ce, depuis mon adolescence et même dans les périodes de grandes privations.
J'ai toujours subi les mauvais traitements et les remarques et un tas de moqueries.
Toute ma vie et jusqu'à la mort de mon mari.
La franchise de vos propos et aussi l'anonymat que nous prodigue internet m'autorise à vous dire que depuis le décès de mon mari je respire.
Suis-je horrible de ressentir un tel soulagement?
Je ne crois pas et il me semble que le ciel me comprend.
Je suis une très vieille dame maintenant puisque j'ai 84 ans et la vie a été fréquemment amère.
Mon époux était un homme autoritaire et cynique.
Sans jamais me battre, il me terrorisait par ses humeurs instables.
Il n'était jamais satisfait et toutes ses petites contrariétés me retombaient dessus jour après jour.
Je comprends maintenant qu'il n'avait pas seulement mauvais caractère mais que d'une certaine manière il me maltraitait.
Ma vie durant, mes beaux-parents et mon époux m'ont rabaissé.
Ils s'accordaient à me trouver dolente et pleureuse.
Il est vrai que je suis sensible, trop rêveuse et un peu trop douce aussi.
La colère des miens et l'autorité me tétanisent et si j'ai eu souvent eu l'air de ne pas travailler assez vite c'est que je réfléchissais à ne surtout pas déplaire, à ne pas échouer, afin de m'épargner quelques mots durs et remarques acerbes.
Pardonnez-moi la longueur de mon courrier je vous prie mais à mon âge, on doit s'ouvrir quand les mots viennent car qui sait s'ils repasseront par mon esprit ?
Vos textes sont salvateurs et il faut que toutes les brutes de ce monde se taisent désormais car on ne se fait jamais aux humiliations.
Elles nous ratatinent comme un fruit sec.
Ils mentent ceux qui disent qu'il faut ignorer les méchants mots, on ne peut pas ou alors on se donne le change, on fait semblant.
Ce n'est pas à ceux qui souffrent de se taire.
C'est à ceux qui font souffrir de baisser le regard.
Je vous en prie, transmettez mes mots aux personnes qui vous lisent, pour qu'elles ne baissent pas les bras et qu'elles n'aient pas honte d'émettre des plaintes.
À mon époque nous devions nous plaindre de rien car les brutes s'empressaient de nous faire passer pour des faibles et de nous donner honte de nous pour cela mais regardez où cela nous a mené de  ne pas riposter ?
Mon petit Pierre a eu la gentillesse de me fabriquer une adresse E-mail que je me permets de vous adresser ici : 

Je serais très heureuse de vous lire.

Jacqueline


Extrait du courrier de Jacqueline juillet 2020

Commentaires

  1. Touchante Jacqueline.. J'espère que sa vie est maintenant un peu moins amère.

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